Michel
Garroté -- Or donc, le clergé
catholique se réunit actuellement pour réformer le Vatican, réformer la Curie
romaine, réformer les structures de l’Eglise, bref, pour réformer. La laïque
consacrée française Marion Cahour disait avec humour qu’il ne faut pas cesser d’aimer
l’Eglise du seul fait que son personnel est parfois déficient. La réforme du
Vatican, c’est précisément la réforme de son personnel, y compris de celui qui
est parfois déficient. En ce moment se tient un « Consistoire
extraordinaire des cardinaux » pour lancer cette réforme. Les analyses
publiées à cet égard dans la presse sont aussi nulles que d’habitude, le
qualificatif de « vaticaniste » signifiant généralement « ignare
de gauche qui croit tout savoir sur l’Eglise catholique ».
Le problème, lorsqu’il y a
Concile, Consistoire ou Synode, c’est celui que Marion Cahour appelle « personnel
déficient ». Non pas uniquement déficient dans le sens incompétent, mais
aussi déficient spirituellement. Le clergé trop sécularisé, l’administration
trop lourde et les intrigues de palais, voilà les déficiences par excellence.
La gauche mono-neurone semble imaginer que le Pape François va transformer l’Eglise
en une République populaire. Peut-être que la gauche mono-neurone a raison.
Peut-être qu’elle a tort. Question de sortir de sentiers battus, je publie
ci-dessous deux analyses « non-conventionnelles ». Je ne dis pas que
j’en partage entièrement le contenu. Je dis seulement que c’est bien de sortir
de sentiers battus. La première analyse se concentre sur le Vatican, la Curie
romaine. La deuxième est un billet d’humeur plutôt féroce à l’endroit du Pape
François.
Le chroniqueur
catholique français Bernard Antony écrit (extraits adaptés ; voir lien
vers source en bas de page) : Je lis avec attention les articles
présentant la réforme du Vatican que François veut accomplir. Je lis aussi les
réactions à son projet et notamment celle, très réticente, du cardinal Gerhard
Müller, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Celui-ci, à ce
que j’en comprends, met l’accent sur l’erreur qui consisterait à vouloir
réformer à partir d’abord de la question du « pouvoir » alors que
c’est celle du « mystère » de l‘Église et de la
« communion » entre Rome et les Églises locales qui a été à la base
des grandes réformes.
Il
rappelle que dans son histoire, si l’Église a pu dévier de sa mission, c’est
« sous l’influence corruptrice de critères inspirés du pouvoir et du
prestige ». Or François, pour l’heure, a évidemment pour objectif la
réforme des pouvoirs. Toutes choses bien sûr très différentes par ailleurs, les
schémas que l’on présente de ce qui devrait être la nouvelle organisation du
pouvoir et des pouvoirs dans l‘Église me semblent pouvoir être considérés
analogiquement avec ce que firent miroiter en 1917 les révolutionnaires
communistes en Russie.
Leur
slogan mobilisateur fut : « Tout le pouvoir aux soviets », et le
nouvel ordre politique s’appela « Union soviétique ». Ce fut là un
remarquable subterfuge bolchévique d’apparence démocratique. Rappelons que
« soviet » est le mot russe qui se traduit par « conseil »
ou par « comité ». Mais ces soviets, et les soviets des soviets,
structurés par empilement pseudo-« démocratique » jusqu’au
« soviet suprême » et jusqu’au « présidium du soviet
suprême » et jusqu’à son bureau exécutif, ne furent dès l’origine que des
émanations sans pouvoir réel de la hiérarchie parallèle mais hiérarchie
véritable du parti communiste et de ses « noyaux dirigeants » selon
les clairs principes léninistes.
Ainsi,
à chaque niveau, la hiérarchie du PC dirigeait ou contrôlait celle des soviets.
Ainsi le politburo était non seulement le noyau dirigeant du présidium du
soviet suprême mais il gouvernait l’ensemble de l‘appareil d’État et toute la
société soviétique. Dans la structure du gouvernement de l’Église qui
aujourd’hui se dessine selon le schéma de François, le « synode »
n’équivaut-il pas un peu au « soviet », depuis les synodes diocésains
jusqu’aux synodes des évêques et des cardinaux ? Et le
« conseil » des 9 cardinaux mis en place par François n’est-il pas
comme une sorte d’émanation synodale supérieure ?
Dans
les structures de l’Église, les synodes ne sont pas les seules structures
pouvant ressembler à des soviets, il y a surtout, car plus systématiquement
institutionnalisées, les conférences épiscopales. Selon ce qui se dessine à
Rome, François veut en effet en faire bien plus que des organes de concertation
et de communication. Elles semblent devoir devenir de plus en plus des
instances autonomes de prise de décision et d’expression théologique, morale et
sociale de l’Église. Synodes et conférences épiscopales apparaissent ainsi
comme pouvant être de plus en plus des hiérarchies parallèles et donc
substituées à la hiérarchie apostolique traditionnelle de l‘Église.
Mais
dans cette esquisse d’analyse que je propose et qui souffre certes débat et
rectification, il resterait encore en cheminant dans l’analogie à se demander où
sont les structures d’influence, les pépinières de pouvoir et les noyaux
idéologiquement dirigeants. En URSS, c’était celle du « parti
intérieur » constitué par l’élite intellectuelle formée pour la politique
par le KGB devenu FSB. Dans nos Nations, ce sont celles de cercles idéologiques
discrets, souvent de caractère ésotérique et initiatique.
Pour ce
qui est de l’Église catholique, il faudrait être bien niais pour croire que les
fractions idéologiques organisées, qui ont tenacement œuvré au cours du siècle
dernier pour sa radicale subversion, auraient disparu. Au contraire, on peut
penser qu’ils se sont à nouveau renforcés, avec toujours beaucoup d’approbation
jusque très haut dans la partie de la hiérarchie qu’ils influencent et sans la
réaction d’une majorité trop souvent sidérée, anesthésiée, sans ressort viril,
conclut Bernard Antony (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source
en bas de page).
Le
chroniqueur catholique anglo-argentin Jack Tollers écrit (extraits adaptés ;
voir lien vers source en bas de page) : Commençons par l'Argentine. Ne
vous méprenez pas, ce n'est pas que je n'aime pas mon Pays, mais de temps à
autre il vous donne envie de pleurer, comme Jésus avec le Sien, si j'ai bien
compris mon Evangile. Simone Weil a dit avec justesse qu'il n'y a pas d'autre
moyen d'aimer son propre pays qu'avec de la compassion. Ceci dit, ce pays est
pratiquement un désastre. Dans la façon dont les Argentins perçoivent les
choses, parlent, se comportent - bien ou mal - c'est un pays anormal, un
endroit où on ne peut pas prendre les mot pour argent comptant, où le manque de
ponctualité est la norme, où les règles de la loi son pratiquement narguées; un
endroit plein de double discours, où les personnes vous donnent rarement une
réponse franche, où "demain" ne se réfère pas au jour suivant, mais
au jour présent : il signifie simplement pas aujourd'hui.
Ce
n'est pas un endroit facile à vivre: faible logique, incohérence, manque de
sérieux, courtoisie presque inexistante, fausse modestie, malhonnêteté,
mauvaises habitudes et déloyauté générale sont la monnaie courante. Nous sommes
en quelque sorte habitués à tout cela (et à davantage), d'une façon que votre
Américain moyen ne pourrait jamais comprendre, à moins qu'il ne lui arrive d'y
passer quelque temps.
Il y a
plein de mots argentins qu'un étranger, qu'il soit d'Espagne,
disons, ou même du Mexique, aurait du mal à expliquer: des mots comme
"piola" (débrouillard), "macaneador" (menteur), "chanta" (magouilleur), et encore tant d'autres
décrivent un peuple qui considère risible de tricher, piéger, escroquer, de
s'en tirer coûte que coûte, que rien n'amuse plus que de casser les règles. En
règle générale, les Argentins détestent les règles, et c'est la raison de leur
propension à l'anarchie qui se manifeste toujours dans la sphère publique. En
général les Argentins aiment faire semblant et n'ont pas de temps pour la
droiture, la loyauté ou le franc-parler. Le mensonge est commun, les mots ne
signifient rien, à moins d'être utilisés pour des objectifs sournois, pour une
ruse, quelque arnaque ou vous jouer un tour. C'est un pays du faire semblant.
D'accord,
je sais que vous pensez que j'exagère, que c'est moi, l'Argentin, qui
maintenant se moque de vous, qu'aucune société ne pourrait survivre avec de
tels us et coutumes, qu'il doit y avoir plus dans le pays que mon triste
portrait. Et vous avez raison. Il y a plus. Si ce n'était pas pour un tas
d'Argentins parfaitement honnêtes, le pays aurait pratiquement disparu depuis
de décennies. A mon avis cela est surtout vrai des femmes argentines; mais non,
vous pouvez trouver plein de personnes attachantes aussi parmi les hommes.
Accueillants, de bonnes manières, avec une bonne éducation, courageux, on peut
trouver de vaillants jeunes argentins en toute activité et école, dans tous les
coins du pays. Ils sont toutefois une minorité, et, d'après moi, l'ont toujours
été, ce qui contribue en grande partie à expliquer le gâchis financier,
économique, institutionnel et moral qui nous caractérise en tant que pays, et
je pèse mes mots.
Prenez Perón. Comme
vous pouvez le savoir, il a gouverné le pays à trois reprises créant un
mouvement politique, appelé, en, plus "Péronisme", qui a tenu la
place par intermittence une bonne partie des derniers soixante ans. Or le
péronisme n'est pas seulement un mouvement très populaire, c'est une façon de
faire de la politique, de gérer le pouvoir, de faire les affaires, de voir le
monde, qui est très marquée surtout de ces horribles traits argentins dont j'ai
parlé. Le péronisme reflète l'ethos des classes inférieures du pays et
Perón
lui-même était un bien vilain type, croyez-moi.
Venons-en à Bergoglio. Il est un péroniste typique: ses manières, langage, style, ou, son manque, son arrière-plan social et idéologique est péroniste jusqu'au bout. Provenant des classes populaires, il étudiait la chimie lorsqu'il décida de devenir jésuite et fut ordonné dans les années immédiatement après Vatican II. Considérez l'Eglise catholique argentine, et surtout les Jésuites dans ce Pays. Si, en règle générale, le pays était peu fiable, vous ne pouvez pas imaginer quel gâchis était l'Eglise Catholique avant Vatican II, et à plus forte raison après.
Venons-en à Bergoglio. Il est un péroniste typique: ses manières, langage, style, ou, son manque, son arrière-plan social et idéologique est péroniste jusqu'au bout. Provenant des classes populaires, il étudiait la chimie lorsqu'il décida de devenir jésuite et fut ordonné dans les années immédiatement après Vatican II. Considérez l'Eglise catholique argentine, et surtout les Jésuites dans ce Pays. Si, en règle générale, le pays était peu fiable, vous ne pouvez pas imaginer quel gâchis était l'Eglise Catholique avant Vatican II, et à plus forte raison après.
Ici il
faut faire une brève parenthèse. J'ai consacré la plus grande partie de ma vie
à promouvoir, traduire et faire connaître les travaux d'un jésuite argentin, le
Père Leonardo Castellani (1899-1981), qui est comme une grande exception: un
érudit très intelligent, un prêtre sérieux et fervent, qui se consacra à la
dénonciation de la situation affreuse, de l'état calamiteux de l'Eglise Catholique
argentine de son temps. Bref, en 1949 il fut expulsé de la Société de Jésus
d'une façon scandaleuse - à cause justement de ses plaintes et de la
dénonciation publique de l'état de choses de l'Eglise locale. Il était surtout
critique des curricula des séminaires, des enseignants exécrables, des pires
livres et du manque total de connaissances et cela dans les années 40.
Concernant
Bergoglio, ses études n'équivalent à rien de substantiel. Les Jésuites d'ici
n'ont pas de professeurs dignes de ce nom, les sujets étaient rabibochés de
manière non scientifique, la philosophie n'était jamais enseignée correctement.
Les chaires de théologie étaient presque toutes occupées par des jésuites mal
formés qui étaient enclins à répéter le dernier des travaux de Teilhard ou de
Rahner, sinon à divulguer les derniers préceptes de la Théologie de la
Libération. La Nouvelle Théologie n'est jamais arrivée jusqu'ici, peu de monde
lisait le français ou l'allemand, et Saint Thomas était presque parfaitement
ignoré. Les études des Ecritures étaient rien moins qu'une comédie. Laissez-moi
vous dire, je sais de quoi je parle, le principal Collège Jésuite est situé
très près d'où j'écris, un oncle Jésuite à moi y a étudié, j'y ai été des
douzaines de fois, et j'ai fait une partie de mes recherches sur le Père
Castellani dans leur bibliothèque - l'appeler une bibliothèque, une des plus pauvres
que j'aie vues dans ce pays, et ça veut dire beaucoup.
Bergoglio ? Comment se fait-il qu'il ait été élu Pape ? Tout ce que je peux vous
dire est qu'il est l'exemple parfait d'un Jésuite argentin, péroniste, de la
deuxième moitié du 20ème siècle. Il a gravi les échelons de la Société de Jésus
à une vitesse étonnante: considérez qu'il a été ordonné en 1969 et juste quatre
ans plus tard il commandait tous les Jésuites d'Argentine comme Supérieur
Provincial. Après six ans il est devenu Recteur du Collège Colejio
Maximo et cela se passait entre 1980 et 1986. C'est alors qu'il se brouilla
avec presque tous les Jésuites du Pays car il jouait son rôle contre Arrupe et
la Congrégation Générale dans les mains de Jean-Paul II. Il fut finalement
réhabilité par le Vatican et, avec l'aide de l'évêque de Buenos Aires, Mgr
Quarracino, il devint son auxiliaire en 199 et finalement, lui-même évêque de
Buenos Aires en 1997. En 2001 il fut fait Cardinal et Primat de ce Pays.
Donc,
oui, il a joué soigneusement sa partie et en bout de ligne, il l'a emportée. Ce
serait sans importance si ce n'était pour le fait que son élection est très
révélatrice de la condition actuelle de l'Eglise Catholique. Mauvaises
nouvelles, n'est-ce pas ? Bon, je sais que vous pensez que j'ai exagéré, que
les choses ne pouvaient pas être aussi mauvaises, qu'il doit y avoir quelque
chose en cet homme, notre nouveau Pape. Je ne vous ai pas convaincus, donc.
D'accord, c'est ma faute. Et tout de même, un Pape argentin ! Et péroniste en
plus ! J'ai hâte de reconnaitre que tout est assez incroyable, mais d'ailleurs
l'abdication de Benoît l'est aussi, et sa conduite successive. Ce sont des
temps vraiment étranges, conclut Jack Tollers (fin des extraits adaptés ;
voir lien vers source en bas de page).
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