Michel
Garroté -- J’ai récemment publié mon
point de vue sur le conflit syrien dans une analyse intitulée « Syrie - Palmyre va-t-elle mourir ? » (http://www.lesobservateurs.ch/2015/05/20/syrie-palmyre-va-t-mourir/).
Ci-dessous, je publie un point de vue différent, celui d’Alexandre Latsa.
Dans
une analyse originale et atypique en deux parties, Alexandre Latsa écrit notamment (extraits
adaptés ; voir les liens vers les deux sources en bas de page) : Les
récents développements militaires en Syrie ont relancé la machine de guerre
médiatique qui affirme que désormais la chute du régime Syrien est proche. Pour
Libération, ça craque à Damas, tandis que le JDD se demande si le bastion
d'Assad (la côte syrienne et la région de Lattaquié) n'est pas lui aussi sur le point de tomber. Même scénario pour la presse
anglo-saxonne, que l'on pense par exemple au « national-interest », ou, à de nombreux sites spécialisés
affirmant que la dynamique d'une défaite militaire de l'Etat syrien était engagée.
Dans la presse des Etats du Golfe, on affirme qu'il est temps de reconsidérer la vie après Assad. Ce regain d'intensité du Bachar-bashing coïncide il est vrai avec une situation militaire qui au cours de ces dernières semaines n'a pas été favorable au régime. Une telle inflexion de la situation ne peut être due qu'à « une intervention extérieure très appuyée ». C'est peut-être ce qui est en train de se passer.
Résumons
les évolutions récentes sur le terrain. Il y a tout d'abord eu au début de
l'année 2015 le déclenchement d'un assaut militaire rebelle d'envergure au sud
du pays, dans la zone frontalière avec la Jordanie. La Jordanie fournit du
reste aux rebelles de solides appuis stratégiques et logistiques qui
proviennent en réalité principalement des pays occidentaux et des pays du Golfe. Au
cours des mois de février et mars le Front rebelle sud a remporté des succès
militaires en évinçant le régime d'une grande zone le long de la frontière avec
la Jordanie, comme on peut le voir sur cette
carte, les zones en vert étant celles tenues par les rebelles.
Il y a
ensuite eu l'échec de l'opération militaire gouvernementale de février 2015 qui
visait à terminer l'encerclement d'Alep. Après l'échec de cette opération la
ville reste quasiment encerclée (comme on peut le voir sur cette
carte) mais cet épisode a sans doute eu un impact psychologique
négatif pour l'armée gouvernementale qui surfait sur une vague de succès
jusque-là. A l'est de la ville, dans la zone sous contrôle de l'Emirat
Islamique, une base militaire gouvernementale (Kuweyres) est en outre
totalement encerclée et soumise aux assauts quotidiens des kamikazes de
l'Emirat islamique.
Aux
confins Est de la Syrie, les forces loyalistes sont aussi aux prises avec
l'Emirat Islamique principalement dans deux sites sensibles qui sont la ville
de Deir ez-Zor mais aussi le tracé de la route reliant la capitale à l'aéroport
(la zone en blanc sur cette carte), route qui passe par le joyau historique qu'est Palmyre et
où se déroulent actuellement de très violents combats.
Mais
c'est surtout dans la province d'Idlib que le régime a connu sa défaite
militaire la plus lourde du moins sur les plans tactique et psychologique alors
même qu'elle semblait inévitable depuis un certain temps. Plusieurs milliers de
rebelles ont attaqué une bande de territoire (en blanc sur cette carte) contrôlée par les forces loyalistes, mais isolée
au sein d'une province majoritairement contrôlée par divers groupes fédérés
autour du Front al-Nosra, la version syrienne d'Al-Qaïda.
En
seulement quelques semaines au cours des mois de mars et avril les rebelles ont
pris le contrôle des villes d'Idlib et de Jisr-Shughour à l'Est et l'Ouest de
cette bande, prenant en étau les milliers de loyalistes s'y trouvant, dont
plusieurs centaines de soldats des troupes d'élites Tigres. La rapidité avec
laquelle les rebelles ont conquis ces villes, en seulement quelques jours,
s'explique par plusieurs facteurs. Tout d'abord l'utilisation intensive des
attentats suicide contre les check-points syriens (des sources parlent de plus
d'une 40aine pour la seule ville d'Idlib), comme le fait l'Emirat islamique à
l'Est du pays à Deir ez-Zor.
Il y a
aussi eu, pour la première fois l'utilisation massive de missiles américain
anti-char TOW (plus de 250 missiles tirés en mars et avril dans cette zone) qui ont permis aux
rebelles de réduire la mobilité des troupes syriennes qui ont subi des pertes
importantes et qui ne peuvent désormais compter que sur l'appui aérien. Ensuite,
la présence de mercenaires étrangers en grand nombre semble avérée. On parle de
membres du parti Islamique du Turkistan et aussi de nombreux mercenaires Turcophones, Saoudiens ou
Tchétchènes. De plus, les troupes d'élite Syriennes n'étaient pas en
grand nombre dans la région et surtout pas au sein des deux villes en question
qui étaient principalement défendues par les forces de défenses locales, un
corps de volontaires civils peu entrainés et incapables de faire face à un
assaut d'une telle ampleur.
Mais en
toile de fond de ces événements récents, un élément essentiel vient de faire
son apparition. Depuis le début de la guerre en Syrie, les trois principales puissances
sponsorisant les groupes rebelles et anti-Assad n'étaient pas unies pour des
raisons de stratégie régionale. Conséquence directe, sur le terrain la kyrielle
de groupes qui s'opposaient au pouvoir Syrien se combattaient les uns et les
autres pour obtenir le soutien financier, logistique et militaire de La
Turquie, du Qatar, des Emirats-arabes ou de l'Arabie Saoudite.
Ces
différentes puissances qui apportent de l'aide aux anti-Assad ont visiblement
conclu un accord, une sorte de pacte visant à faire tomber le régime Syrien.
Cet accord a entrainé une unification, une coordination militaire mais surtout
une union politique des différents groupes d’opposition. Cette alliance entre
deux puissances du golfe et un pays de l'Otan, accompagne donc maintenant une
coalition militaire composée de combattants djihadistes proche des frères
musulmans et de salafistes, dans une coalition hétéroclite et radicale qui pourrait
rassembler jusque 70.000 combattants.
Lors de
l'assaut contre Idlib, de nombreuses sources bien informées affirment que si l'équipement était majoritairement fourni par
Riyad, plusieurs milliers de combattants se sont infiltrés en quelques heures
sur le territoire Syrien par la frontière Turque, frontière d'où un soutien
médical a même été apporté aux Djihadistes blessés qui ont pu franchir la
frontière pour être traites dans les hôpitaux en Turquie (source ici et
là).
Les mêmes sources affirment que Riyad et Ankara envisageraient des opérations
militaires en Syrie, même si cela semble à ce jour encore improbable, et il
faut rappeler que la Turquie a déjà proposé l'établissement par voie militaire
d'une zone tampon, aérienne et au sol, dans le nord du pays.
En
outre, avec l'aide des Etats-Unis, ce nouvel axe va former dans les prochains
mois un contingent de 5.000 hommes pour combattre tant le pouvoir Syrien que
l'Emirat Islamique. Ces changements importants interviennent dans un contexte
international et régional mouvant lié à l'Iran. L'accord sur le nucléaire
Iranien et la plausible levée des sanctions ont créé une vive inquiétude au
sein des monarchies du golfe qui craignent par-dessus tout l'influence
régionale de Téhéran. La mort du roi Abdallah au début de l'année 2015 et
l'accession au trône de son demi-frère Salman a eu pour conséquence un
retournement de la politique étrangère Saoudienne, accéléré sans doute par
l'opération au Yemen que Riyad mène contre les rebelles Houtis qui ont le
soutien de Téhéran.
En lien
direct avec l'Iran, le Hezbollah semble de plus en plus devenir une des clefs
du dossier Syrien sur le plan militaire. A la frontière avec le Liban, le
Hezbollah augmente son implication sur le terrain Il a lancé au cours de ce
mois de mai une opération militaire de très grande envergure dans les monts
Qalamoum, visant à sécuriser la frontière et cette zone stratégique
qui donne directement accès à la capitale Syrienne. Jusque-là, le Hezbollah se
contentait d'intervenir dans des zones périphériques et plus ou moins
frontalières du Liban, hormis de rares exceptions.
Mais le
12 décembre dans un discours d'importance, Hassan Nasrallah a clairement laissé entendre que le Hezbollah allait désormais combattre
partout où il le faudrait sur le territoire Syrien pour ne pas permettre la
défaite du régime. Il semble du reste plausible qu'après la bataille de
Qalamoun, le Hezbollah soit déployé dans le sud du pays, accentuant de fait la
crainte de la Jordanie de voir l'influence de Téhéran s'approcher de ses
frontières, tandis que dans le même temps l'Emirat Islamique semble de son côté
vouloir s'implanter en Jordanie.
Que
peut-il se passer maintenant en Syrie ?
Sur le
plan intérieur
On peut
imaginer que l'Etat Syrien ne devrait pas s'effondrer après la perte de
plusieurs centaines de soldats et de dizaines de tanks dans la terrible
bataille en cours pour la province d'Idlib. La montée en puissance du Hezbollah
semble montrer clairement le problème principal auquel fait face l'armée
Syrienne pour garder le contrôle sur la totalité du territoire syrien: la
dispersion des forces sur des fronts de plus en plus nombreux et étendus. En
quatre ans de guerre l'armée Syrienne et les forces de défense nationale ont
perdu plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Il est donc de plus en plus
difficile de mener des opérations importantes sur plusieurs fronts à la fois,
tout en sécurisant les territoires sous contrôle de l'Etat.
Il
faudra observer dans les prochains mois si le régime peut continuer à se
maintenir dans ces avant-postes que sont Alep ou Deir-Ez-Zor mais aussi et
surtout continuer à contrôler les axes routiers menant à ces villes. De cela
dépendra beaucoup l'avenir de la Syrie qui pourrait voir le régime choisir
d'abandonner, au moins provisoirement, le nord et l'est du pays qui tomberaient
ainsi sous contrôle total de l'Emirat Islamique (de l'Est d'Alep à la frontière
Irakienne) et du Front Al-Nosra donc d'Al-Qaïda pour ce qui est de la province
d'Idlib. Mais ce scenario de repli des forces gouvernementales reste une option
qui dépendra de l'évolution de la situation militaire dans les semaines qui
viennent et de la capacité du régime à alimenter en hommes les nombreux fronts
militaires.
Sur le
plan extérieur
Une
ligne de rupture semble se dessiner entre les préoccupations prioritaires des
occidentaux et celles des acteurs régionaux. Les occidentaux sont désormais
focalisés sur l'Emirat Islamique et les risques qu'il fait courir à la région
mais aussi aux états d'Europe puisque plusieurs milliers de ressortissants
européens musulmans ont rejoint les rangs de l'organisation. Par contre, pour
Ankara ou les puissances du golfe, la priorité est clairement de contrecarrer
l'influence Iranienne et surtout de ne pas laisser l'axe
Téhéran-Damas-Hezbollah prendre le dessus dans ce conflit syrien. Tout dépendra
de la pression que l'Iran peut exercer. Téhéran peut décider de passer à la
vitesse supérieure (mais sous quelle forme ?) pour maintenir Assad au pouvoir
et appuyer le processus en cours visiblement de transformation du Hezbollah en
« Etat dans l'Etat » au sein du système étatique syrien.
De
toute manière, le conflit Syrien ne semble pas près de se terminer, le pays voit
se dérouler sur son territoire une terrible guerre proxy, entre une bien
étrange coalition des démocraties occidentales, des dictatures du golfe et de
la Turquie, contre un axe regroupant la Syrie laïque, l'axe Chiite
Téhéran-Hezbollah et en arrière-plan la Russie. Difficile d'imaginer quelle
nouvelle réalité est en train d'émerger en Syrie, conclut Alexandre Latsa (fin
des extraits adaptés ; voir les liens vers les deux sources en bas de page).
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