Michel
Garroté -- L'ombre des services plane sur l'affaire
Alberto Nisman, procureur mort mystérieusement le 18 janvier, et la présidente
a annoncé qu'elle allait faire le ménage et dissoudre le Secrétariat au
renseignement (SI, ex-SIDE) pour créer une Agence fédérale du renseignement (extraits
adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : le constat de la
présidente est partagé par des figures de l'opposition. La députée Patricia
Bulrich, du parti conservateur PRO, a décrit "un monde sous-terrain
incontrôlé", préconisant une réforme en profondeur du SI au lendemain de
la mort du procureur. L'affaire Nisman a affaibli la présidente, car elle était
directement accusée d'entrave à la justice par celui-ci, et les partisans du
gouvernement estiment que la mort du magistrat est un coup monté des services.
"Ils l'ont utilisé vivant, et ensuite, ils ont eu besoin de lui, mort",
a accusé la présidente.
Au
siège du SI, au numéro 11 de la rue du 25 Mai, à quelques dizaines de mètres du
palais présidentiel, Cristina Kirchner avait mis le feu aux poudres en
décapitant les services secrets en décembre. "La décision de remplacer en
décembre les trois principaux dirigeants du SI a provoqué un grand traumatisme.
Je ne sais pas si les services ont quelque chose à voir avec la mort de Nisman,
mais certains sont furieux contre Kirchner et capables de nuire", a confié
à l'AFP un ancien fonctionnaire de la SIDE. Le plus célèbre d'entre eux est
Antonio Horacio Stiles, connu comme Jaime Stiusso. Il était le patron
opérationnel du SI, celui qui connait tous les dossiers et les arcanes de la
maison, où il était entré en 1972. L'expédier à la retraite est perçu en
interne comme un crime de lèse-majesté. Directeur des opérations de la SI et
chargé du dossier AMIA, un attentat contre une mutuelle juive qui avait fait 85
morts en 1994 et sur lequel enquêtait aussi M. Nisman, il voyait défiler les
patrons "politiques" tout en conservant le pouvoir réel sur ses
troupes.
Alors
qu'il était très lié au procureur, que son nom a été cité dans la procédure et
qu'il est pointé du doigt par Cristina Kirchner, M. Stiusso n'a pas été
convoqué par la procureure qui enquête sur la mort d'Alberto Nisman. Pour la
politologue Claudia Guebel, "depuis la fin de la dictature, jamais
personne n'a pu mettre de l'ordre dans le Secrétariat au renseignement, qui
brasse des anciens de la dictature et des agents qui ont grandi en démocratie".
Claudio Lifschitz, proche collaborateur du juge Juan José Galeano, chargé du
dossier AMIA de 1994 à 2003, a dénoncé sans relâche "la participation
d'agents de renseignement à l'attentat de l'AMIA et jamais",
regrette-t-il, "la justice fédérale ne les a entendus dans le cadre de
l'enquête". "Peut-être par peur", ajoute-t-il, ou comme beaucoup
l'affirment, "parce que le lien existant entre la justice et les services
de renseignement est très étroit".
Pour
avoir fait entrave à l'enquête sur l'attentat qui a frappé l'AMIA, le bâtiment
rassemblant les associations juives de Buenos Aires, le président Carlos Menem
(1989-1999), le juge Galeano et le patron du SIDE dans les années 1990, Hugo
Anzorreguy, seront jugés et attendent la date de leur procès. Dans l'affaire
Nisman, chargé du dossier AMIA depuis 2004, l'enquête semble piétiner. Le
premier inculpé est un informaticien de 35 ans, Diego Lagomarsino, homme de
confiance du procureur, à tel point que ce dernier lui avait demandé de lui
fournir une arme. Il l'a fait et il est mis en cause par le parquet. La presse
argentine lui prête un lien avec le SI et la procureure n'exclut pas d'étendre
son inculpation (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas
de page).
Quelques
jours avant son décès, Alberto Nisman a en donc accusé publiquement la
présidente Cristina Kirchner et six autres personnes d'être les auteurs d'un
"plan criminel" visant à couvrir la responsabilité de l'Iran dans cet
attentat en échange d'accords commerciaux (extraits adaptés ; voir lien
vers source en bas de page) : il a également demandé l'ouverture d'une
enquête contre la présidente. Après ces révélations, le parlement argentin l'a
convoqué le 19 janvier pour présenter son dossier d'accusation. Or celui-ci a
été monté en partie avec des informations récoltées par les services de
renseignements argentins, et notamment un de ses membres influents, Jaime
Stiusso. Ce dernier aurait fourni à Nisman des écoutes téléphoniques censées
prouver la responsabilité de l'Iran d'une part, et celle de la présidente
argentine d'autre part. Problème, ces éléments à charge sont sujets à caution.
Et le décès brutal d'Alberto Nisman, à la veille de sa convocation, ouvre la
porte a bien des hypothèses. Sans qu'il soit aujourd'hui possible de trancher.
Dans un
message envoyé avant sa mort, Alberto Nisman avait écrit: "Plus tôt que
tard, la vérité triomphera... J'ai confiance en moi. (...) Ah! Je précise au
cas où, que je ne suis pas devenu fou. Malgré tout, je me sens mieux que
jamais." Par ailleurs, des éléments de l'enquête comme l'absence de
résidus de poudre sur les doigts de la victime viennent également mettre en
doute l'hypothèse du suicide.
Un
assassinat pour protéger la présidente ? De son côté, l'opposition s'est bien
sûr étonnée de la mort du procureur, un jour avant sa convocation devant les
députés. Elle soutient la thèse de l'assassinat commandité par des services
secrets restés fidèles à la présidence afin d'éviter des révélations
dangereuses pour Cristina Kirchner. Une partie de l'opinion publique et de la
presse en Argentine s'interroge sur cette hypothèse, d'autant qu'un accès
inconnu et non surveillé à l'appartement du procureur a été découvert au cours
de l'enquête. Reste à la mort d'Alberto Nisman avait peu de chance de passer
inaperçue. Et qu'elle donne au contraire plus de visibilité à ses accusations,
qui ont été mises en ligne sur Internet.
Une
opération de déstabilisation de la présidente ? La présidente Cristina
Kirchner, contrairement au gouvernement, pense elle aussi à un assassinat par
des membres des services secrets. Mais pas des agents à sa solde. Elle met en
cause les responsables qui ont fourni des informations à Alberto Niesman. Sur
Facebook, elle a écrit: "Le suicide (j'en suis convaincue) n'a pas été un
suicide. (...) Ils l'ont utilisé vivant et ensuite, ils avaient besoin de lui,
mort". Selon cette hypothèse, le meurtre serait lié au limogeage, en
décembre, de plusieurs dirigeants des services de renseignement, parmi lesquels
le contact du procureur, Jaime Stiusso. Désireux de se venger, ils auraient
poussé le procureur à faire ses révélations pour déstabiliser le pouvoir en
place, avant de lui révéler que ses preuves étaient fausses. Dans ce scénario,
Alberto Nisman aurait pu être liquidé, voire poussé au suicide, selon une variante
encore plus machiavélique.
Quoi
qu'il en soit, toutes les pistes sont désormais suivies dans le cadre de
l'enquête officielle. Seule certitude, les services secrets argentins, qui
n'ont pas fondamentalement changé depuis la dictature militaire, ont joué un
rôle nauséabond. Cristina Kirchner a annoncé la dissolution du principal
d'entre eux, le Secrétariat au renseignement pour créer une Agence fédérale du
renseignement (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de
page).
Reproduction
autorisée avec mention :
Sources :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire