mardi 5 mai 2015

La vague complotiste contemporaine







Extraits du dernier essai de notre ami Pierre-André Taguieff : « Pensée conspirationniste et 'théories du complot'. Une introduction critique », Uppr Éditions, e-book, avril 2015 (lien vers source en bas de page)  --  Ces dernières années, la vague complotiste a pris de l'ampleur en jouant un rôle croissant dans le champ de l'opinion. Les « théories du complot » ont accompagné le traitement de la plupart des menaces reconnues comme telles, au point de s'imposer comme un thème idéologico-politique régulièrement affiché et débattu. Les médias s'en sont fait l'écho, en même temps que, par une réaction circulaire, ils ont alimenté, voire renforcé la passion complotiste.


Le thème du complot est devenu une marchandise culturelle autant qu'un topos de la rhétorique politique. L'accroissement des flux d'information, notamment par l'effet du Web qui charrie indistinctement le vrai, le faux et le douteux, produit mécaniquement une haute diffusion des rumeurs de complots, qui peuvent prendre la forme de « rumeurs solidifiées », et des explications « alternatives » de style complotiste. En outre, la vie politique internationale s'est de plus en plus imprégnée des croyances et des représentations complotistes. Les accusations mutuelles de conspirer se sont banalisées dans les relations entre États comme dans les relations entre ces derniers et divers groupes sociaux, politiques ou ethniques.


Au Moyen-Orient, la plupart des conflits politiques ou religieux, ainsi que les guerres asymétriques entre États et groupes islamistes armés, s'accompagnent de « théories du complot » diffusées par les propagandes respectives des rivaux ou des belligérants. Les situations de concurrence et de conflit, surtout lorsque les acteurs collectifs qui s'affrontent se radicalisent dans leurs positions et n'imaginent plus trouver un compromis, favorisent les fièvres complotistes. Toute montée aux extrêmes risque de prendre l'allure d'une marche vers une situation apocalyptique, à travers la généralisation d'une paranoïa complotiste. On assiste au spectacle permanent de la concurrence des victimes autoproclamées de complots imaginaires.


Les principes de la pensée conspirationniste


Les récits conspirationnistes accusatoires sont structurés selon cinq principes ou règles d'interprétation des événements, qui permettent de répondre au besoin d'ordre ou de structure stable dans la perception des séries événementielles, l'impératif étant d'échapper à tout prix à l'anxiété liée au sentiment de la marche chaotique du monde. De ces principes dérivent les représentations et les croyances constituant l'imaginaire conspirationniste : Rien n'arrive par accident. Rien n'est accidentel ou insensé, ce qui implique une négation du hasard, de la contingence, des coïncidences fortuites : « ce n'est pas un hasard si... ».


Tout ce qui arrive est le résultat d'intentions ou de volontés cachées. Plus précisément, d'intentions mauvaises ou de volontés malveillantes, les seules qui intéressent les esprits conspirationnistes, voués à privilégier les événements malheureux : crises, bouleversements, catastrophes, attentats terroristes, assassinats politiques. Car les bonnes nouvelles et les heureux événements n'intéressent pas les amateurs ou les collectionneurs de « théories du complot ». La question est ici : « qui est derrière... ? ». On retrouve l'axiome de la psychologie des intérêts, censé tout expliquer, comme l'a pointé Karl Popper : « Selon la théorie de la conspiration, tout ce qui arrive a été voulu par ceux à qui cela profite ».


Rien n'est tel qu'il paraît être. Tout se passe dans les « coulisses » ou les « souterrains » de l'Histoire. Les apparences sont donc toujours trompeuses, elles se réduisent à des mises en scène. La vérité historique est dans la « face cachée » des phénomènes historiques. L'axiome est ici : « on nous manipule ». Dans la perspective conspirationniste, l'historien devient un contre-historien, l'expert un contre-expert ou un alter-expert, un spécialiste des causes invisibles des événements visibles. Il fait du démasquage son opération cognitive principale. Dès lors, l'histoire « officielle » ne peut être qu'une histoire superficielle. La véritable histoire est l'histoire secrète.


Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. « Tout se tient », disent les complotistes, prenant la posture de l'initié. Derrière tout événement indésirable, on soupçonne un « secret inavouable », ou l'on infère l'existence d'une « ténébreuse alliance », d'un mystérieux et inquiétant « Système ». Les forces qui apparaissent comme contraires ou contradictoires peuvent se révéler fondamentalement unies, sur le mode de la connivence ou de la complicité. La pensée conspirationniste postule l'existence d'un ennemi unique : elle partage avec le discours polémique la reductio ad unum des figures de l'ennemi. Celui-ci reste caché, et ne se révèle que par des indices. C'est pourquoi il faut décrypter, déchiffrer à l'infini.


Tout ce qui est officiellement tenu pour vrai doit faire l'objet d'un impitoyable examen critique, visant à le réduire à des croyances fausses ou à des mensonges. C'est la règle de la critique dérivant du soupçon systématique, ou plus exactement de l'hypercritique s'appliquant à tout discours officiel. Encore faut-il souligner le fait, selon une suggestion du psychologue social Pascal Wagner-Egger, que tout ne doit pas être passé au crible de la critique, mais seulement la version « officielle », perçue comme telle, qu'on nous donne de l'événement. Il y a donc une frappante « asymétrie cognitive » chez les complotistes qui, surtout depuis le 11-Septembre, font preuve d'un extrême esprit critique envers la version officielle d'un quelconque événement en même temps que d'une extrême crédulité vis-à-vis des « théories du complot » se présentant comme des explications « alternatives ».



  

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